Adieu Monsieur le Professeur, nous ne vous oublierons jamais

Je suis historienne. J'ai été prof d'histoire. Dans une vie pas si lointaine. 

Alors, certes, aujourd'hui, je suis responsable développement dans une grande association caritative.

Mais je suis historienne. Et je reste historienne.

Pour la vie.

Passionnée par cette discipline que d'aucuns voudraient voir figée dans un enseignement immuable.

Passionnée par ses sources aussi riches et variées que le fut notre Histoire à toutes et tous.

Textes, images, photos, dessins, gravures, enluminures, pièces de monnaie, vestiges archéologiques, presse, films, cinéma, poèmes, livres, photos, témoignages, oralités... Autant de sources qui témoignent de notre passé, de notre Histoire, avec un grand H, et qui font ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain.

Jamais je n'aurais imaginé que ce métier puisse être dangereux.

Jamais je n'aurais imaginé qu'être prof d'histoire, passionné-e et dévoué-e, aurait pu mener à une décapitation par un fou de Dieu, islamiste, au seul prétexte qu'il a voulu enseigner ce qu'était la liberté d'expression en s'appuyant sur des caricatures de Mahomet parues dans Charlie Hebdo.

Je dois être une grande naïve.

Quand j'enseignais (certes, à la fac, dont on peut se dire que les étudiants sont un peu plus éclairés que des collégiens ou des lycéens), j'avais zéro limite dans les supports que j'utilisais. Caricatures, pamphlets, manifestes... toutes les sources, écrites ou iconographiques, aussi polémiques, drôles ou tragiques soient-elles avaient leur place dans mes cours et mes TD. Réfléchir, interpeller, analyser les époques et les mentalités, apprendre du passé pour améliorer le présent et préparer le futur, telles étaient les modestes ambitions que je nourrissais.

Alors, comme tout le monde, je suis restée bloquée dans la sidération après la mort de Samuel Paty.

Sidération, solidarité, rassemblement Place de la République, marches blanches ici ou là, bougies, hommage national, actions, réactions, perquisitions, gardes à vue.

Le même rituel qu'en 2015. Le même rituel à chaque fois.

Toujours le même rituel.

La même tristesse. le même sentiment d'impuissance.

Et la désagréable sensation d'être comme un chien qui aboie quand la caravane de l'horreur passe.

Et maintenant ? Et ensuite ?

Qu'est-ce qu'on fait ?

Collectivement je veux dire. Parce que chacun-e dans son coin, on n'arrivera à rien.

Parce qu'à mon petit niveau, à part porter plainte contre ce sordide connard, bien planqué derrière un pseudo et un compte verrouillé, qui m'a envoyé des insultes racistes et sexistes sur Instagram, et écrire à mon prof d'histoire de lycée pour lui dire que sans lui, je ne serais jamais devenue celle que je suis aujourd’hui et que je ne me serais jamais lancée dans un parcours universitaire aussi long, et dans lequel j’ai eu le privilège de croiser Dominique Kalifa, Gabrielle Houbre, Denis Peschanski ou Michelle Perrot, qu’est-ce que je peux faire?

Me rassembler avec vous place de la République ou allumer des bougies, c’est un peu faible pour lutter contre la violence et la folie meurtrière islamistes.

L’hommage d’hier soir m’est tombé dessus comme une enclume. Cette musique. Ce cercueil. Cette photo. Quelle tristesse. 

Adieu Monsieur le Professeur. Nous ne vous oublierons jamais.

Quel cataclysme pour notre République...

Quel drame pour la démocratie...

Quelle violence pour la laïcité...

Quelle atteinte à la liberté d’expression...

Je suis tellement triste et en colère.

J’en veux tellement à celles et ceux qui minimisent depuis si longtemps.

À celles et ceux qui s’accommodent de l’incommodable.

À celles et ceux qui relativisent.

Qui nuancent.

Qui justifient l’injustifiable.

À celles et ceux qui ne nous ont pas protégés, qui ne nous protègent plus et qui ne font rien ou pas assez pour nous protéger maintenant, demain.

Adieu Monsieur le Professeur.

Nous ne vous oublierons jamais.

Je ne vous oublierai jamais.

Jamais.

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16 commentaires

  1. Ton billet évoque tout ce qu'on est nombreux à penser mais sans savoir comme l'exprimer, la sidération, le "qu'est-ce qu'on fait concrètement" pour ne pas se perdre dans des débats stériles, des grands blablas comme savent le faire tant de gens, tant d'"intellectuels". Et parfois je me dis qu'on a déjà perdu ce combat. Merci pour ton engagement.

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    1. Merci Laurent. je suis tellement triste et désabusée...
      Bises

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  2. Qu'est-ce qu'on fait concrètement ? Ben… la même chose que les fois d'avant et que les prochaines fois : on défile en braillant "plus jamais ça !" (mais avec muselières à élastique pour cette fois), on allume des bougies, on dépose des tits nounours devant le collège, on proclame fièrement à ceux qu'on n'ose même pas nommer clairement : " Vous n'aurez pas ma haine ! "

    Puis, on retourne se coucher en suçant son pouce.

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  3. Bonjour Élodie,

    Nous avons toujours eu beaucoup de désaccords. J'en vois encore un dans tes lignes d'aujourd'hui avec ton emploi de mots (minimiser, nuancer, justifier, accommoder). Emploi qui me semble injuste. Chercher à comprendre un processus n'est pas excuser les actes affreux qui peuvent en découler.

    Que faire ? Après quatre jours de refus de ce monde j'ai republié la lettre de Julos Beaucarne. Reboiser l'âme humaine. S'aimer à tort et à travers.

    https://yetiblog.org/archives/27548

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    1. Salut.
      "Chercher à comprendre un processus n'est pas excuser les actes affreux qui peuvent en découler."

      Je suis tout à fait d’accord. À 1000 %.

      Ce n’est pas de cela dont je parle mais de celles et ceux qui nuancent, ferment les yeux, s’accommodent... particulièrement dans les 6 à 8 mois précédant une élection.

      Je l’ai vu, entendu et vécu personnellement. Ça existe partout, à gauche comme à droite.

      C’est de cela dont je parle.

      Ni plus ni moins.

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    2. Élodie,

      [...] celles et ceux qui nuancent, ferment les yeux, s’accommodent... particulièrement dans les 6 à 8 mois précédant une élection."

      Je ne sais pas à quoi ou à qui tu fais référence mais j'insiste. Une très extrême prudence et une grande retenue me semblent nécessaires par ces temps troubles. Depuis des années je vois passer des accusations ignobles qui flétrissent ceux qui les ont proférées bien plus que ceux qui en sont les victimes. On peut ne pas partager les options, politiques ou autres, de X ou de Y sans les traîner dans la boue. Cela ne sert finalement que les takfiri.

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    3. Tu as oublié la suite de ce que tu cites :

      "Je l’ai vu, entendu et vécu personnellement. Ça existe partout, à gauche comme à droite."

      Je sais de quoi je parle, donc.

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    4. Et je ne sais pas ce que sont les takfiri.

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  4. Takfiri : extrémistes musulmans tenants d'une idéologie violente. Cette violence s'exerce en priorité contre les musulmans qui ne partagent pas leur point de vue et sont regardés de ce fait comme apostats mais cible occasionnellement les infidèles en Europe. Chérif Kouachi se réclamait du takfir. À peu près tous les grands attentats ayant causé des morts par centaines commis dans des pays musulmans ont été l'œuvre de takfiri (Mogadiscio en 2017 : au moins 587 morts). Certains musulmans français les nomment taktak par dérision.

    En France on les nomme souvent à tord salafi (ou salafistes) alors que le salafisme est le plus souvent l'une des formes du piétisme musulman. Mais, pour compliquer les choses, il existe aussi des "salafi djihadistes" minoritaires dans la mouvance salafi qui utilisent la violence.

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  5. Bon, c'est pas l'tout d'pleurnicher : faudrait voir à se remettre au “journal de confinement", hein ! Je vous signale que le Musset a déjà pris une longueur d'avance sur vous…

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    1. J’ai le droit de répondre "ppppffffiiiooouuu fait chier" ou pas ?

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    2. Vous avez le droit, du moment que c'est dit sans ôter votre muselière à élastiques auriculaires.

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