Maraude en plein ciel

Certains l’appellent "Le Tripode" à cause de ses 3 tours en hélice, d’autres parlent du "Phare" de l’agglo...

C’est la résidence "Plein Ciel".

C’est au pied de l’immeuble, sous le haut-vent du "centre commercial" du même nom, que "vit" Roland. 
Hier, il était très fatigué. Il avait beaucoup bu. Il "cuvait" comme diraient d’autres. Assis dans son fauteuil élimé et défoncé, dans ce petit espace qui lui sert de salon de l’autre côté du parking, face à sa "chambre".
Il avait sa toute petite voix d’oisillon tombé du nid. Celle qui monte dans les aigus au même rythme que les grammes d’alcool dans le sang.

Quand il n’a pas cette petite voix, il est marrant, Roland. 

Il parle de tout, de son ex-femme, de son épargne, de la petite maison qu’il va acheter pour passer ses vieux jours quand il sera (officiellement) à la retraite, des mecs avec qui il traînait mais qui ne lui tiennent plus compagnie depuis qu’il a arrêté de fournir à boire à toute le monde. Il nous raconte ce qu’il a mangé grâce à l’asso qui nourrit quotidiennement ces hommes et ces femmes sans toit et qui peuplent les rives de Seine, les abribus et les arrières-cours de Melun, du Mée et de Vaux-Le-Pénil.

Hier, Roland, il a juste murmuré avec sa voix de piaf:

"C’est bon. Ça va. Merci". 

... Suivi d’un soupir. Le soupir de celui qui commence sa nuit dans son fauteuil élimé et défoncé, un soupir alcoolisé.
Il était 20h15.

En rentrant chez moi, en me couchant dans mon lit king size, sous mon énorme couette, j’ai pensé à Roland.
Il était 00h45.

Je l’ai imaginé se levant au milieu de la nuit parce qu’il avait froid avec son t-shirt à manches courtes avec lequel il s’était endormi dans son "salon". Je l’ai imaginé vaseux parcourant les 15 mètres qui le séparent de sa "chambre".

Je l’ai imaginé se blottissant sous sa montagne de couvertures sur son énorme matelas. 
Parce qu’il est énorme le matelas de Roland. Il est king size son lit, à lui aussi.

Et ce matin, je l’ai imaginé ouvrant les yeux, collés par quelques larmes, avec la gueule de bois, avec une voix redevenue grave, prêt à attaquer une nouvelle journée de traîne-bitume au pied du Tripode, sans toit, sous le ciel, le Plein Ciel.

Bref. Je suis maraudeuse sociale.

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