Confinement. Episode 4. Crise d'angoisse au supermarché.


Tout à l'heure, quand j'ai lu le dernier billet de Seb, je me suis dit "Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter aujourd'hui?"
Et bien, c'étant avant d'entreprendre de me rendre à la pharmacie (après les avoir appelés pour le demander quel était le meilleur créneau pour eux) et au supermarché.
La journée s'est déroulée tranquillement comme celle d'hier et sans doute comme celle de demain, sauf que je suis en week-end et que je compte bien faire comme un vrai week-end. 

... Mais Confinée 

Je vous épargnerai ma demie heure jardinage, désherbage, mon menu à base de pommes de terre à l'ail.
Cela dit, l'avantage du confinement, c'est que tu peux manger de l'ail à toute heure de la journée. Et tous les jours en plus.
Y'a pas de petits plaisirs.

Ravitaillement

Dans l'après-midi, j'ai une amie dont le frigo du boulot est plein - oui, parce qu'elle est obligée de bosser, elle - qui a entrepris de le vider pour ne pas jeter de nourriture et de faire la tournée des copines pour nous dépanner. 

Le dispositif était en place :
  • Elle appelle 
  • Je sors
  • Je lui jette mon sac par-dessus la grille
  • Elle le remplit
  • On papote à 2 mètres
  • Elle s'en va
  • Je récupère mon sac et je rentre
Je connais cette nana depuis 20 ans. Elle compte parmi mes meilleures amies.
Nous ne nous sommes pas embrassées. C'était surréaliste.

Opération supermarché

Donc... Quelques minutes plus tard, me voilà, partie en mission pharmacie / courses.
Merde, j'ai oublié mon attestation sur l'honneur qui jure que je vais bien acheter des médocs et de la bouffe.
Je retourne la chercher et je roule.
Je précise que la dernière fois que j'ai fait mes courses, c'était il y a 15 jours, soit bien avant les concours nationaux de construction de châteaux forts en PQ ou de colliers de nouilles taille XXL.
Il était donc grand temps que je remplisse le frigo.
Je précise (bis) que je hais les supermarchés. Mais genre, je hais vraiment.
Donc je fais toujours mes courses en drive. Jamais en vrai.
Naïve comme je suis, je me suis dit que les services drive tourneraient à plein régime pour limiter au maximum les contacts humains.
Que nennni.
Les services drive sont HS. Il n'y a plus de drive.

Première étape : la pharmacie.

Les pharmaciens et pharmaciennes sont masqué et protégés par un hygiaphone en plexiglas. Du sérieux quoi. Des rubans de chatterton collés au sol sont espacés d'un mètre pour qu'on s'y cale peinard. 
Je récupère mes traitements contre l'asthme et les allergies et roule ma poule. Au sens propre, puisque je suis avec mon caddie taille XXL, comme tous les caddies de banlieues dortoirs dans les supermarchés XXL.

Mais les gens.
Les gens....

Les gens

Les gens squattent n'importe où, n'importe comment. 

Ah bon ? C'est là la file d'attente ?
Mais c'est pour laisser passer la dame ou c'est vraiment là qu'il faut se mettre?"

Ouais, alors non seulement, tu vas bouger avec ton caddie mais en plus tu vas te mettre au bon endroit et tu vas bien rester à un mètre de moi [Insérer ici l'insulte de votre choix]"

Bref. Ça, c'était l'apéro.

Direction le plat de résistance - au sens propre comme au sens figuré, la résistance - le supermarché.

Lost in the supermarket

Je mâche mon chewing-gum frénétiquement, je respire par la bouche. Je suis essoufflée. J'ai de la buée sur mes lunettes parce que, bien sûr, j'ai mis mon cache-nez, totalement inefficace contre le Coronavirus mais psychologiquement rassurant. 

J'avais anticipé le truc en mode guerrière. J'avais fait une liste de courses par rayon pour déambuler intelligemment et ne pas avoir à revenir sur mes pas. Trop maline la meuf. 

Mais les gens... 

Les gens, ils sont là, peinards. Ils prennent un truc, le reposent, en prennent un autre, hésitent, squattent à 40 cm de toi.

Toi, t'es là, à attendre qu'ils aient fini leur benchmark entre les blancs de poulet par paquet de 6 ou par paquet de 4. Ils papotent, font des grands gestes avec leurs bras.

J'ai chaud. Mais vraiment chaud hein. Mes yeux font des mouvements psychotiques, tel Jack Nicholson dans Shining, pour surveiller à gauche, à droite, déboîter à un mètre, reculer pour laisser passer le mec qui plane et qui ne t'a pas vue (ou qui s'en fout).

Il n'y a plus d’œufs.
Plus de Muesli non plus.
Il n'y a presque plus de beurre.
Mais j'ai trouvé du PQ. Ouf. Sauvée.
J'ai acheté du terreau, tiens, pour la peine.

J'ai chaud. J'ai très chaud. Je suffoque. Les gens me rendent cinglée. 
Mon chewing-gum a un goût de caillou.

J'arrive à la caisse. Pauvres caissiers et caissières.
Certain-e-s ont un masque, d'autres non.
Certain-e-s ont des gants, d'autres non.
Mais surtout : cette pauvre toile en plastique de 50 cm de large (celle que tu étales chez toi quand tu repeins les murs ou le plafond de ton salon), tendue tant bien que mal entre deux pauvres poteaux bringuebalants, déchirée par endroits...

Les gens...

Les gens qui te collent aux fesses avec leur caddie. Mais dégage sérieux ! Pousse-toi !

Je suis essoufflée. Je vide mon caddie. Je paie. Je remplis mon  caddie.
J'ai chaud.
Je tremble. 
Je me casse.

Je pars.
Je me concentre pour ne pas craquer dans cette galerie marchande aux rideaux baissés qui s'alignent les uns après les autres.

Je remplis mon coffre. Je range le caddie. Dans la mauvaise rangée de caddie. La chaîne du jeton est cassée. Je recommence dans une autre rangée. J'ai envie de le jeter de toutes mes forces dans cette chenille métallique et que la chaîne s'accroche toute seule et que le jeton atterrisse dans ma poche.

Je retourne à ma voiture. 

Je m'effondre. Sur le volant. Comme dans les films.

Lamentablement.
En larmes.
Je suffoque.
Je n'ai plus de souffle.
Je panique.
J'ai 12 ans.

Je rentre chez moi, en larmes.

J'appelle ma mère.
J'ai 12 ans.

Comment a-t-on pu en arriver là ?
Faire ses courses en faisant la course. Avoir le sentiment d'avoir gagné une guerre au moment où on franchit le seuil de sa porte. 
S'effondrer dans son canapé.
Souffler.
Vider ses courses avec des gants.
Nettoyer ses gants avec de l'alcool.
Ranger ses gants.
S'asseoir dignement sur une chaise et parler à ses amies sur WhatsApp.
Se servir un verre et se sentir en sécurité, chez soi, enfermée. 
Confinée.
La crise d'angoisse. C'est fait. Next !

Pendant que dehors, des gens luttent contre la maladie, des soignants sont au-delà du burn-out, des gens continuent de faire comme si de rien n'était. 
Pendant que des politiques disent tout et son contraire en moins de temps qu'il n'en font pour l'écrire.
Pendant que ma sœur, directrice d'école, accueille des enfants de soignants dans des conditions déplorables et sans mesures d'hygiène dignes d'un confinement digne de ce nom.
Pendant que des gens qui se sont soudain découvert une passion vitale pour le jogging courent pendant 10 bornes sans se poser de question.

Des gens.

Les gens...

Le mépris. L'indifférence. L'absurdité. Le risque. L'incompréhension.

Bref... J'ai rarement été aussi contente d'être en week-end.


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14 commentaires

  1. C’est rigolo : j’ai eu la même impression de chaleur. Par contre pas d’angoisse mais de l’amusement.

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    1. Contre la sensation de chaleur panique, un thermos de café ou thé brûlant. Conseil (véridique) de touareg .. bon pour le thermos, j’ai adapté le conseil en fait...

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    2. Ayé c’est passé... mais au moins maintenant je sais gérer. C’était comme un baptême quoi.

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    3. LIKE, LIKE, LIKE, merde on peut pas mettre de GIF mais l'intention y est.

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  2. bordel de merde j'ai du retaper mon commentaire; ce con de Google avait perdu mon compte. Soutien copine ! bordel ce que tu as vécu j'ai fait pareil chez moi hier soir, comme toi j'ai un ami qui m'a aidé (et qui était lui même en mode panique, je me suis vu grimper sur mon vélo pour aller nous co-aider mais y'aurait fallu violer la loi ou inventer vite fait un truc fou).

    Le truc fou c'est qu'on est sécurisé chez nous, mais c'est une prison en fait. Prison avec de l'internet et un bout de jardin pour ceux qui ont cette chance et peuvent ainsi prendre le soleil quelques moments, minutes, heures. ce ConoVirus va transformer les balcons/terrasses objets de luxe.

    Sinon S'asseoir dignement sur une chaise on fait comment ?

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    1. Ouais j’avoue c’est chaud.
      Bah en fait une fois vautrée comme une loque dans mon canapé, je me suis ressaisie et assises droite comme un i sur une chaise !

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    2. pas mieux ! faut se convaincre qu'on en a pour encore 6 ou 7 semaines minimum, les premiers tests humains de traitement commencent en Europe aujourd'hui. Donc d'ici là : on se consigne, on s'aide à se faire les courses si on doit le faire/si on peut le faire. C'est pas compliqué.

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  3. tu commences enfin à détester les gens : bienvenue au club !

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    1. l'autre jour j'en enguelé une femme qui me parlait de trop près et voulait gruger la fille d'attente devant la superette. JE crois que copine Elodie va faire pareil prochainement ou l'a déja fait.

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    2. Ça fait un moment que je les déteste hein... mais là c’est exponentiel!

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    3. je le dis souvent : Dunnig-Kruger massif ! on est entouté de tas de cons et connes (mot trop léger) qui croient mieux savoir que les autres. N'oublions pas que nous sommes le pays avec le plus d'antivax d'Europe. Ce fait est important pour tout comprendre.

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  4. Je dois décidément être anormal (ou une brute…) : je suis déjà sorti faire des courses deux fois depuis le début du claquemurage et… je n'ai rien ressenti du tout. Mais alors, là, rien d'chez rien, j'veux dire.

    (Sinon, je vous ai dédié les deux petites vidéos instructives et amusantes que je viens de publier chez moi…)

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    1. Bah tant mieux pour vous hein. Finalement, tout ça, c’est très très personnel et subjectif.

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    2. Tout ça pour que j’aille me perdre sur votre blog...

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