#BalanceTonPorc: après la libération de la parole, le devoir d'écoute et de réponse

#BalanceTonPorc
D’aucuns pensent que depuis que les femmes ont libéré leurs corps en « brûlant leurs soutifs » dans les années 1960-1970, tout est réglé, ou presque.

Force est de constater que c’est loin d’être le cas.

En dénonçant les agressions en série de d’Harvey Weinstein, éminent producteur de cinéma hollywoodien, les victimes – stars et anonymes – ont libéré la parole de milliers d’autres, elles aussi victimes de sexisme, de harcèlement, de violence et de viol.

C’est dans ce contexte que le hashtag #Weinstein s’est peu à peu mué en #BalanceTonPorc, puis en #MoiAussi ou #MeeToo.

On pourra s’interroger sur ce #BalanceTonPorc quand il mène à une dénonciation ad hominem et à cette nouvelle façon de faire justice en mode 2.0. On pourra également lire ici ou là que ce hashtag n’est pas très heureux.

Certes… Mais ce hashtag est à la hauteur (à la bassesse plutôt) de ce que tous-tes celles et ceux dénoncent depuis plusieurs jours : des prédateurs qui se comportent davantage comme des porcs que comme des êtres civilisés : 

On ose dire. Avec #balancetonporc, la parole des femmes prend le chemin d’une libération. Réponse violente à la violence. Les femmes sont fustigées parce qu’elles dénoncent grossièrement. Mais il est clair que #dénoncesilteplaîtceluiquitaharcelée, ça n’aurait pas marché. L’appropriation du registre grossier, bien que légitime, dérange : « Bah oui, regarde, tu es un porc. »
Habituellement, ce sont les femmes que l’on traite de « cochonnes ». Réponse de la bergère au berger, miroir de l’acte : le harcèlement, c’est une violence dégueulasse, on te le renvoie, tout aussi dégueulasse. Mais on n’est pas habitué à ce que la parole des femmes soit aussi présente : les vagues féministes, si on ne voulait pas les voir, on ne les voyait pas. Comme pour l’affaire Weinstein, c’est cette explosion qui interroge. Certains n’avaient pas du tout envie de voir cette parole se libérer. (Laurence Rosier, Directrice de l’exposition « Salopes… Et autres noms d’oiselles »)
En tout, ce ne sont pas moins de 160 000 messages de 59 000 personnes sur Twitter qui ont dénoncé, relayé, témoigné, raconté, balancé « leur porc ».

Malgré ce déferlement de tweets et de témoignages accablants, tristes, choquants, violents, reflétant une réalité – celle du mutisme, du silence, de la honte, de la peur de parler encore aujourd’hui en 2017, au point de saisir l’occasion d’un hashtag pour se soulager d’un poids devenu trop lourd à porter – certain-e-s parlent désormais d’une « chasse aux sorcières » (doux euphémisme quand on sait qu’Eric Zemmour n’hésite pas à faire un parallèle plus que douteux entre « Balance ton porc » aujourd’hui et la dénonciation des Juifs pendant la 2nde Guerre mondiale)

Certain-e-s se sont ému-e-s : « Le problème dans #BalanceTonPorc, c’est « balance ». Alors que non, le vrai problème, ce sont les porcs.

D’autres encore y sont allé-e-s de leur petit conseil pratique : « Tu sais, quand on est victime de ce genre d’agression, le mieux c’est de porter plainte ». Tout en évacuant d’un revers de main que certaines des victimes ont vu leur plainte classée sans suite, sans parler de celles qui ont peur de se faire virer en cas de plainte pour harcèlement au travail. Et de celles qui ont peur, tout court.

On a aussi eu droit à « Est-ce que si les premières victimes de Weinstein avaient porté plainte immédiatement, il y en aurait eu autant ? » Un peu comme si c’était leur faute, à elles, les victimes, agressées, harcelées, violentées, violées. Mais oui ! Bon sang mais c’est bien sûr, espèces de lâches, vous rendez-vous compte la part de responsabilité que vous avez dans la prolifération des « porcs » ?
Sans parler du « Eh oh, ça va hein, c’est bon. Tous les hommes ne sont pas des porcs ». Bah non. C’est vrai. Tous les hommes ne sont pas des porcs. Bien au contraire. Mais doit-on pour autant se taire quand on en connaît ne serait-ce qu’un seul ou quand on en a été victime hier, l’année dernière ou il y a 15 ans?

Doit-on parler seulement à l’instant T ou se taire à jamais ? Est-ce qu’après l’heure, c’est plus l’heure ? Est-ce cela la seule alternative?

« L’affaire Weinstein », au-delà de son caractère sordide, aura au moins eu le mérite de démontrer que « non, ça n’arrive pas qu’aux autres ». Elle aura eu le mérite de porter cette question au niveau du débat national, d’obliger les un-e-s et les autres à ouvrir les yeux sur celles et ceux qui les entourent, qui souffrent en silence, qui harcèlent ou agressent en toute impunité.

Le hashtag #BalanceTonPorc ne doit évidemment pas remplacer la justice ou l’état de droit. Jamais. Mais il aura au moins eu le mérite de permettre à des milliers de victimes de libérer leur parole, de se soulager de ce poids devenu trop lourd, de se rendre compte qu’elles ne sont pas seules, de mettre des mots sur une détresse et un sentiment d’abandon et d’impuissance inquantifiables.

Oui, la honte doit changer de camp.

Non, le sexisme ne doit plus être banalisé.

Et oui c’est relou de ne parler que de ça depuis des jours. Désolée hein. Désolée de troubler votre tranquillité 2.0. Pardon pour le dérangement.

Mais plus de quarante ans après la « libération des corps » des femmes, l'heure est venue de libérer la parole. Et il est plus que temps de l’écouter et de lui répondre.

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10 commentaires

  1. bordel qu'il est bien ton article j'avais envie d'écrire à peu près le même mais j'aurais fait moins bien

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    1. Merci Laurent. C'est gentil. Ça fait plusieurs jours que je voulais publier quelque chose sur le sujet mais j'étais trop "à chaud".

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  2. merci Elodie pour votre article. juste, pertinent. un petit bémol quand même "pardon pour le dérangement", je ne pense pas que les femmes aujourd'hui ai envie de demander pardon, bien au contraire. #LaHonteChangeDeCamp... et c'est pas fini.

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    1. excusez moi : "aient envie"...

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    2. C’était tout à fait ironique Malika. Voire même carrément cynique 😉
      Nous sommes d’accord. Merci pour votre visite.

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  3. Ça me fait penser que je ne t'ai pas harcèle depuis au moins 15 jours.

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  4. Je me doutais bien que cette monstruosité allait soulever votre enthousiasme juvénile ! Je trouvais même que c'était un peu lent à venir…

    Vous êtes, dans ce domaine si riche des aberrations "sociétales", voire morales, une boussole dont l'infaillibilité à désigner le sud est au-dessus de tout éloge.

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  5. Femmes en détresse, qui s'autoflagellent, et qui succombent des propres malheurs qu'elles s'infligent ...

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  6. "La nuit de Béguines":
    http://information.tv5monde.com/terriennes/la-nuit-des-beguines-une-histoire-de-femmes-puissantes-et-emancipees-au-moyen-age

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