La dame qui fait la manche au centre commercial



Ça fait plusieurs semaines que vois cette dame qui fait la manche, assise sur un petit bout de carton, sans barda ni sac.
Elle est juste assise là, avec un gobelet en carton à la main, au pied d’un poteau en bas des escalators.
C’est un lieu de passage pour accéder à la galerie marchande. C’est un petit centre commercial, loin des complexes Westfield dont les banlieues regorgent.
C’est un centre avec une trentaine de boutiques à tout casser, dont un hypermarché, un cinéma, un bowling et une salle de sport.
Bref, tout ce qu’il y a de plus banal dans les banlieues dortoirs, à cheval sur deux communes de moins de 10 000 habitants chacune.

Voilà pour le décor.

Il y aune dizaine de jours, alors qu’on enregistrait des records de froid* avant le 21 décembre, jour officiel de l’hiver, j’ai pris de le temps de "discuter" avec elle.
Je mets des guillemets à "discuter" car elle n’est pas francophone. Elle a juste réussi à me faire comprendre qu’elle dormait la nuit dans une caravane mais qu’elle n’était en contact avec aucune association. J’ai cité les principales en me disant que ça lui évoquerait peut-être quelque chose. En vain.
Je suis repartie et sur le chemin, j’ai appelé le 115. Le répondeur tournait en boucle pour me dire de patienter et qu’il y avait "un client" en attente avant moi.
La dernière fois sue j’avais essayé d’appeler le 115, pour une autre personne près de la gare, il y avait "29 clients" avant moi et au bout de 58 minutes d’attente, j’avoue, j’avais renoncé.

Cette fois-ci, je me suis dit: "une seule personne en attente, ça va aller vite".

Au bout de 47 minutes, je suis tombée sur quelqu’un à qui j’ai expliqué toute l’histoire et à qui j’ai demandé si cette femme était connue du Samu social et / ou si une maraude était prévue pour aller à sa rencontre (c’est comme ça que ça fonctionne dans le 77, à Melun, là où je maraude moi-même).
Il m’a été répondu qu’il était impossible de savoir si cette femme était connue et qu’en plus, aucune maraude n’était prévue dans ce secteur le week-end. Mais que, surtout, le 115 ne prenait que les signalements venant d’un membre de la famille. 

(Lunaire)

Pendant mes 47 minutes d’attente, j’en ai profité pour contacter par mail l’unité locale du coin.
Dans l’après-midi, celle-ci m’a rappelée pour me dire qu’ils feraient tout leur possible pour aller à sa rencontre, mais qu’en plus, il y avait bien une maraude sociale dans ce secteur, le week-end.
J’ai également contacté un maire du coin, de ma connaissance, pour savoir si elle était connue et / ou accompagnée par les associations locales d’entraide.
Je n’ai pas eu de réponse.
Aujourd’hui, je suis allée faire 2-3 courses. J’ai revu cette femme, qui venait vers moi, son gobelet en carton à la main. Je n’avais pas un centime sur moi.
Et alors que je m’engageais dans les escalators, j’ai vu qu’elle s’est fait chasser par un vigile, qui était en train de déchirer son bout de carton pour le mettre à la poubelle, pendant qu’elle s’éloignait.
Si je n’avais pas été dans cet escalator, je serais revenue sur mes pas pour lui demander pourquoi il faisait ça.

Qui cette femme dérange-t-elle ?

Elle est juste assise là, silencieuse. Elle ne gêne ni le passage ni les passants.
Je me suis dit qu’en revenant, je lui poserais la question.
5 minutes plus tard, évidemment, le vigile avait disparu, la femme aussi, et le carton était écrasé dans la poubelle.
Je ne sais pas trop pourquoi j’ai décidé, avec cette histoire, de revenir sur mon blog.
Je crois que c’est parce que j’ai de la peine pour cette femme, et pour tous les sans-abri qui se font continuellement dégager des endroits qu’ils ont choisis pour faire la manche.

"Cachez cette misère que je ne saurais voir"…

Ou comment fermer les yeux sur la misère qui nous entoure, sur l’égoïsme ambiant, sur le dysfonctionnement des services d’aide, sur la pénurie d’hébergements, et sur l’absence totale de courage politique de nos dirigeants qui ne sont pourtant pas les derniers à déblatérer de grandes intentions.
Les paroles.
Les actes.
La réalité.

Emmanuel Macron, 27 juillet 2017.

Bref… 2022 s’achève comme elle a commencé, comme toutes les autres années.

Puisse 2023 (vous) être douce, positive, meilleure que 2022, engagée et solidaire.

* Quant à aujourd’hui, 31 décembre, c’est un record de chaud. Mais c’est un autre sujet.

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13 commentaires

  1. Commentaire n'ayant rien à voir avec le sujet, et je m'en excuse platement. Voici ce que j'ai écrit ce matin dans mon journal, qui "rebondit" sur ce vous disiez il y a un jour ou deux dans touit'heure :

    « Il y a une semaine ou deux, nous avions vu un film intitulé À couteaux tirés (et non Couteaux tirés, comme l'ont mutilé les imbéciles de Netflisque) : histoire plaisamment loufoque, et classique en même temps, centrée autour d'un détective surdoué dans le genre d'Hercule Poirot, interprété par Daniel Craig. Scénario solide, excellents acteurs, mise en scène rapide et efficace : un bon moment, quoique sans crier au génie non plus.

    « Hier soir, nous avons regardé la nouvelle enquête de Benoit Blanc (c'est le nom du détective sus-évoqué), intitulée Glass Onion : grosse déception. Le film est beaucoup trop long – près de deux heures et demie –, insupportablement bavard, m'as-tu-vu, chichiteux. Les acteurs, y compris Daniel Craig et Edward Norton, oscillent entre l'insipide et le médiocre, le scénario est inutilement tarabiscoté et, à la fin, sombre dans le n'importe quoi. Et je me demande encore, la nuit ayant passé, comment la Miss Élodie a fait pour trouver le second film meilleur que le premier, quand je l'ai jugé, moi, plus qu'à demi raté. »

    Peut-être le troisième film – déjà prévu apparemment – nous mettra-t-il d'accord ?

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    1. Je ne vous cache pas que j’attends le troisième avec une certaine impatience.

      J’ai un début d’explication… j’ignorais totalement que Glass Onion était la "suite" d’un autre film.

      Je ne m’attendais donc à rien. Et c’est vrai, j’ai beaucoup rigolé car totalement loufoque et fêlé.

      La dernière fois que j’avais ressenti ça devant un film, c’était devant Bullet Train.

      Donc, quand j’ai regardé À Couteaux Tirés, l’effet de surprise était passé et je savais plus ou moins à quoi m’attendre.

      Et donc, comme je l’ai trouvé moins loufoque et décalé, j’ai moins aimé. Même si j’ai passé un super moment.

      (Un jour, faudra que vous me donniez votre pseudo Twitter, espèce de stalkeur)

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    2. Je ne suis pas inscrit sur Twitter : je visite deux ou trois comptes – dont le vôtre – mais j'y vais sur la pointe des pieds et masqué.

      Sinon, oui, votre explication se tient.

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  2. À un niveau très local, j'espère que cette dame trouve de l'empathie chez ceux ou partie de ceux qui croisent son regard.

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    1. Je suis à peu près sûre que non… hélas.

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    2. De toute façon, je pense qu'elle aimerait mieux trouver chez eux quelques pièces, voire un billet. Mais c'est peut-être mon côté sordidement matérialiste…

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    3. Évidemment. Mais les gens peuvent aussi dire non avec empathie…
      Bref…

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    4. Dire non avec empathie me semble être le comble du jésuitisme ! Sauf, évidemment, si celui qui dit non le fait parce que lui-même a les poches aussi vides qu'un cerveau de gauchiste (pas pu m'en empêcher ! je sais : c'est mal…).

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    5. Eh bien je cumule jésuitisme et gauchisme !

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    6. Alors que, dans l'Église, les "gauchistes", ou du moins leurs fâcheux ancêtres, étaient plutôt les Jansénistes…

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  3. Guerrière un jour, guerrière toujours !
    A très vite sur nos errances de nuit...

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