Dix ans de rue, ça en pèse quarante







Il a beaucoup maigri, Tommy.
Il parle beaucoup, il veut s’en sortir, il en a marre. 

"Dix ans de rue, ça en pèse quarante".

Il (sur)vit dans une tente, dans un parc, que la rumeur de la rue surnomme "la colline au crack", mais qui serait aussi un lieu de rendez-vous gay.
Il a 55 ans, Tommy.
Il a été horticulteur puis déménageur. Mais avec le Covid, plus personne ne pouvait déménager alors ils ont viré tout le monde.
Il a fait pas mal de taule aussi. Pour trafic de stup, mais juste du bédo… et surtout pour des braquages. Bah ouais, il allait juste retirer de l’argent, quoi.
Il en a marre. Il voudrait en sortir. Mais c’est long.
Déjà, il va récupérer une nouvelle carte de sécu bientôt. Et puis grâce à la travailleuse sociale, il a décroché un rendez-vous à la clinique pour un bilan complet.
En août.
Bah oui, c’est pas une urgence, Tommy.
Il voudrait savoir pourquoi il mange de moins en moins et pourquoi il se sent tout le temps nauséeux.
Mais il est bien conscient que les 15 bières par jour, ça aide pas trop à la digestion.
Et on parle pas de canettes de Kro de 33cl, on parle de 8.6 bien brunes, bien chaudes, qui accrochent sévère.

Il voudrait s'en sortir, de l'alcool. 

Le chichon, je peux arrêter quand je veux. mais l'alcool, c'est dur. Après, je bois que de la bière, hein. Et puis la clope... Mes doigts sont jaunes. J'arrive même pas à enlever la nicotine de mes doigts.

Et puis, sans frigo, les Petits Gervais à la fraise qui tournent doucement mais sûrement, sous l'auvent de la tente, ça doit pas aider non plus.
Il est claustrophobe et agoraphobe, Tommy.
Il peut pas prendre le bus ou les transports en commun. S’il monte dans un bus, il pousse tout le monde.
Alors, il faut venir le chercher et l’accompagner au moindre rendez-vous administratif ou médical.
Il a les bras plein de tatouages, une barbe, pas encore hirsute, et des lunettes à montures noires, assez classes. Il a un faux air de rockeur fatigué.
Très fatigué.
La rue, ça pèse.
C’est long. Il en a marre, Tommy. Il voudrait que ça s’arrête. Il veut pas refaire un hiver dans la rue. L’hiver, c’est trop dur. L'hiver, c’est l’enfer.

"Un hiver de plus, je pourrai pas.", il dit, Tommy.

Vivement que ces allocataires du RSA soient obligés de bosser un peu, cette bande de feignasses, ces assistés qui profitent du système.

2 commentaires

  1. Pas de commentaires sur ce billet et c'est dommage.
    Moi il m'a saisie aux tripes et je vous remercie de vous faire la porte-parole des sans-voix, des sans-dents, des sans-rien, des accidentés de la vie.
    Solveig (qui vous suit depuis longtemps amicalement)

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    1. Merci Solveig. C’est gentil.
      Je ne blogue plus beaucoup et je ne fais guère de promo de mes billets. C’est peut-être aussi pour ça que je perds des commentaires mais ce n’est pas grave.
      Les meilleurs sont là 🤗
      Je n’ai pas vocation à être la porte-parole de qui que ce soit mais si je peux aider à parler et faire parler de ceux qu’on n’entend jamais, alors tant mieux !

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