Confinement. Episode 6. La colère


C'est parti pour une deuxième semaine de confinement. Youpi. 
Ou pas.
Nan parce que bon, les injonctions à garder le sourire ou à rester optimiste, c'est facile à dire hein. Il n'y a pas une journée qui s'écoule depuis le début du confinement sans apprendre que telle ou telle personne, chaque jour un peu plus proche, est malade.
Ce sentiment de n'être en sécurité que chez soi et que dehors, c'est la maladie, c'est quand même une sensation à laquelle personne n'est préparé.
C'est un peu Walking Dead  dans la vraie vie.
Et si tu n'as pas vu Walking Dead... Bah, c'est pas le moment de le regarder, en fait. 
Tu te le gardes au chaud pour plus tard, quand on sera toutes et tous déconfiné-e-s, en train de danser nu-e-s dans la rue avec une bouteille d'alcool au bout de chaque bras.

Garder le sourire

Garder le sourire quand tu réalises que finalement, tu n'es pas la plus mal lotie.
Ton frigo est rempli depuis que tu as remporté la bataille des caddies.
Tu as un jardinounet qui te permet de prendre l'air sans être contrôlée ni verbalisée.
Tu es en télétravail et tu vois tous les jours la trombine de tous tes collègues dans leur cuisine, leur piaule ou leur cave.
Tu as un toit, du chauffage, une baignoire plus grande que toi, un lit dans lequel du peux te prendre pour L'Homme de Vitruve en 360° sans risquer d'avoir un pied qui dépasse, 12 applis de visioconf, plein d'ami-e-s à connecter, à appeler, à textoter.
Tu as Netflix, MyCanal et Amazon Vidéo, des livres à ne plus savoir qu'en faire dont certains attendent d'être lus depuis des mois.
Tu as du vin en stock, des litres de bières dans le bas du frigo après l'annulation d'une soirée il y a 10 jours.
Tes voisins sont discrets (enfin sauf celui du dessus qui vient de se découvrir une passion pour le Zouk Love). Le chien des voisins qui aboyait toute la journée, n'aboie plus. Ils ont tous tondu la pelouse la semaine dernière donc le bruit de la tondeuse, c'est fini.
Tu joues à des trucs cons sur les réseaux sociaux avec tes amis des réseaux sociaux.
Tu ne t'ennuies finalement pas trop.

Ou pas

Garder le sourire, relativiser... Ou pas.
Quand tu entends chaque jour la porte-parole du Gouvernement déblatérer conneries sur conneries.
Quand tu lis que Gérald Darmanin envisage de suggérer (imposer dans le langage macronsite) des congés payés pendant le confinement... Comme si on était en vacances à se dorer la pilule au soleil ou à picoler du matin au soir, vautré dans son canapé en regardant BFMTV. Comme si on était là à rien glander de nos journées. Comme si on avait choisi cette situation.
Et ensuite le même Gérald Darmanin nourrit l'espoir que:
Si des crises comme celle-ci peuvent rappeler aux Français que l’Etat est indispensable, c'est une bonne chose,
Alors qu'il a été nommé ministre, entre autres, pour supprimer 85.000 postes de fonctionnaires sur l'ensemble du quinquennat dont 70.000 postes dans les collectivités territoriales et 15.000 postes de fonctionnaires d'Etat. 

Quand tu lis ça, quand tu entends ça, tu te dis que, vraiment, la Macronie est une réserve infinie de bullshit puissance 1000.

Quand tu entends le Ministre de l'Education rabâcher toute la journée à qui veut l'entendre que tout va bien, que ça gère grave, qu'aucun élève ne restera sur le bord du chemin. Sérieusement... Il y a des élèves qui n'ont même pas de papier ou de crayons chez eux. Il y a des parents qui pètent des plombs parce que leurs enfants ne savent pas convertir des grammes en kilogrammes ou parce que le serveur du prof de Chimie plante toutes les 5 minutes ou pendant une heure, ou parce que poser des additions comme nous l'avons appris, nous quarantenaires, "ce n'est pas la bonne méthode".
Il y a des parents qui doivent accompagner leurs enfants en maths alors qu'eux-mêmes, ils ont lâché la rampe en CM1. Il y a des enfants qui n'ont pas internet, pas de connexion. La fracture numérique.

C'est un métier, enseignant-e. Et il aura fallu une crise sanitaire pour en prendre conscience.

Il aura fallu une crise sanitaire pour prendre conscience que nos personnels soignants sont au-delà du burn-out alors que ça fait des mois, des années, qu'ils manifestent, se mettent en grève, et hurlent à s'en briser les cordes vocales que l’hôpital public est à bout de souffle. 
Il aura fallu une crise sanitaire pour que nos responsables politiques réalisent que celles et ceux qu'on appelle "les blouses blanches" sont des héros et des héroïnes du quotidien. Des héros et des héroïnes qui meurent du Covid-19 depuis quelques jours. Gloire ! Vous êtes des héros ! Vous êtes contents hein?

Et pendant ce temps-là, Intermarché fait des tweets sponsorisés pour rendre hommage "à tous les héros discrets". Ceux-là mêmes qui bossent en caisse et dans les entrepôts, parfois sans masque ni gants, payés au lance-pierre depuis des années et qui, soudain, par la grâce du Coronavirus, sont devenus des héros. Quel cynisme... Mais qu'ils ne se plaignent pas hein, ils vont toucher 1000€ de prime les héros précaires. 1000€ de prime pour risquer de contracter le virus en bossant.
Sans parler de Nike, qui sponsorise la punchline la plus priceless du moment "Aujourd'hui, plus que jamais, nous sommes une équipe".
Bah tiens. Elle est belle l'équipe.

Pendant que je suis en train de rédiger ce billet, TF1 fait un micro-trottoir auprès des gens qui se sont découvert une soudaine passion pour le footing. Et si on vous disait ce soir que c'est votre dernier footing ? Oh mon Dieu, nooooooon, quelle horreur, c'est pas possible. 
Mais sérieux, les gens, qu'est-ce qui tourne pas rond dans leur tête de runner ?

Aujourd'hui, les premières dépêches sont tombées pour parler des présidents de bureaux de vote et des assesseurs qui sont malades. Ces "héros de la démocratie" qui ont tenu les bureaux de vote d'un 1er tour des municipales qui n'aurait jamais dû avoir lieu. Jamais. Et dans quelques jours, on assistera, médusés, aux mêmes dépêches annonçant des cas de maladie chez des colistiers et des colistières de listes encore en lice pour le second tour.

Alors comment te dire... J'ai pas vraiment envie de sourire en fait.

J'ai beau avoir une grande baignoire, un grand lit, un chat et un jardinounet, j'ai envie de faire la gueule et de hurler ma colère.

Inspirations :
Florence (ma collègue avec laquelle j'ai bu un apéro virtuel pendant la rédaction de ce billet)

Résumé des épisodes précédents :

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16 commentaires

  1. Si ton frigo est plein, je veux bien confiner avec toi.

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  2. Pas facile de sourire par les temps qui courent et pourtant je souris car il faut garder espoir. Ma sœur me raconte comment elle galère dans son secteur : référente numérique dans l'Éducation nationale, elle s'est souvent plainte du manque de moyens et de formation. Force est de constater, me raconte-t-elle, que les enseignants s'organisent et apprennent sur le tas, par la force des choses, les applications, les multiples ressources, toutes les solutions qu'ils apprennent ou inventent. Sourire un peu car les gens s'organisent, pour le bien commun. Hauts les cœurs car on a besoin de toutes les forces, toutes les intelligences.
    La bise Elodie.

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  3. Argh, bureaux de vote et colistiers, j’avais oublié ce dimanche où mes mains étaient brûlées le soir à force d’avoir été passées à l’hydro-alcool ! (déjà que j’ai le TOC de le laver les mains toutes les 3 minutes... Bref.
    Confine du mieux possible copine :) Et vivement l’après quand même :)

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  4. Merci.
    Tellement.

    Du coup tu m'as donné envie de raconter ma semaine, semaine de personne exposée au virus, avec des malades autour de moi et le premier décès ce week end.
    https://yasmilady.wordpress.com/2020/03/23/les-montagnes-russes/

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  5. « Et si tu n'as pas vu Walking Dead... Bah, c'est pas le moment de le regarder, en fait. »

    Ce n'est JAMAIS le moment de regarder ce truc, qui est une bien mauvaise série, bavarde et crispante, remplie de bonnes femmes insupportables, tour à tour pleurnichardes et vindicatives, comme seules les séries américaines sont capables d'en bricoler.

    Et, pourtant, d'ordinaire, je suis un putain de zombiphile, hein !

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    1. On est d'accord. J'ai abandonné au bout de 4 ou 5 saisons je sais plus.
      Mais comme j'en parle, je me mets à la place de celles et ceux qui me lisent et qui ne connaissent pas cette série et qui auraient soudainement envie de s'y mettre... Je me rappelle encore du 1er épisode de la saison 1 comme si c'était hier.

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    2. Vous êtes plus courageuse que moi : j'ai abandonné au milieu de la troisième, je crois.

      Sinon, pour combattre la morosité ambiante, je conseille de hautes doses de la série intitulée The Big Bang Theory : 12 saisons de 25 épisodes chacune (de 20 mn, certes) : il y a de quoi voir venir, et c'est vraiment très drôle.

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    3. Ah tiens, je ne connais pas. Je vais voir ça.

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  6. Gardez le sourire, parce qu'à moi vous le donnez ! Merci
    Sylvie

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