Qu'importe le hashtag, pourvu qu'il y ait les mots pour le dire #BalanceTonPorc #MeToo #MoiAussi
- 30.10.17
- Par Elodie Jauneau
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Hier, et pendant toute la semaine dernière, des centaines de femmes et d'hommes, partout en France, sont descendu-e-s (ça c'est spécialement pour toi, l'allergique à l'écriture inclusive. Dès la 2ème ligne, comme ça, c'est fait) dans la rue pour faire entendre de vive voix ce qui n'était alors qu'un hashtag:
#MeToo
#MoiAussi
#BalanceTonPorc
Des centaines de femmes et d'hommes, victimes, témoins, soutiens ou proches, ont rappelé au monde réel que #MeToo, c'était aussi dans la vraie vie. Que #MeToo, ce n'était pas uniquement un déferlement de témoignages en 140 caractères et que ce n'était pas seulement un hashtag.
Alors évidemment, après la critique du #BalanceTonPorc ("c'est moche", "c'est vulgaire", "c'est inapproprié"), on a eu droit au "Pourquoi #MeToo? Pourquoi en anglais et pas en français?"
La vie est question de priorités. Chacun-e ses préoccupations et ses fixettes. Moi, la question que je me pose depuis que l'affaire Weinstein a éclaté et n'en finit plus d'éclater, ce n'est pas "Pourquoi #BalanceTonPorc?" ou "Pourquoi #MeToo en anglais?" mais:
Pourquoi en est-on arrivé là? Comment, en 2017, autant de victimes ont peur, n'osent pas, ne peuvent pas porter plainte de peur de se faire virer, d'être intimidées ou contraintes au silence par une pression telle qu'ellechoisissentsubissent ce poids des années durant?
Et alors, on se rend compte de l'omerta qui règne dans les sphères de pouvoir, de l'inégalité des sexes qui persiste dans le monde du travail, de la connivence des uns au silence coupable des autres, de la méconnaissance de la loi, de l'incapacité à distinguer la blague dite potache, du harcèlement, quand ce n'est pas carrément une agression sexuelle.
Et tu assistes, médusé-e, au témoignage de ce médecin pour qui "mettre une main au cul, ça détend". Et tu te souviens de cette femme qui t'a raconté il y a quelques années, comment elle a subi des attouchements sexuels été agressée dans un bus sur la route du boulot. Mais que, tellement choquée, tellement oppressée, tellement sidérée par ce qui venait de lui arriver, elle avait pressé le pas pour arriver à l'heure au travail, en faisant "comme si de rien n'était".
Et tu te rappelles ces rumeurs que tu as entendues sur elle, sur lui, sur eux, il y a des mois, des années... Et tu te rends compte qu'en fait ce n'en sont pas, des rumeurs.
Et tu réalises cette capacité qu'ont les un-e-s et les autres - toi, moi, elle, lui, et eux là-bas - à faire semblant, à se taire, à oublier, à avancer sans se retourner, à faire comme si de rien n'était, à passer à autre chose.
Parce qu'il le faut.
Parce que ça ne sert à rien.
Parce qu'il y a prescription.
Parce que tout le monde s'en fout.
Parce que tu vas te faire virer.
Parce que tu vas passer pour la pute de service.
Parce que tu l'avais bien cherché.
Parce que tu t'es laissé-e faire (et là, oui, j'emploie à dessein l'écriture inclusive).
Parce que tu as honte.
Parce que c'était ta meuf.
Parce qu'on ne prend pas les transports toute seule tard le soir.
Parce qu'un homme, ça ne peut pas être harcelé ni violé, c'est la honte. Tu n'es qu'une merde.
Parce que t'as qu'à arrêter aussi de mettre des mini-jupes et des décolletés.
Parce qu'elle avait qu'à dire non.
Parce que t'avais trop bu.
Parce qu'il était bourré.
Parce que c'était un accident.
Parce que tu l'as allumé-e.
Parce que tu l'as allumé-e.
Parce que personne de te croira.
Parce que t'avais rien à faire dans la rue en pleine nuit.
Parce que tout le monde sait que tu en crevais d'envie.
Parce que c'était ton mec.
Parce que tu aurais dû porter plainte tout de suite.
Parce qu'une main au cul, ça détend.
Parce qu'il est trop tard.
Trop tard. C'est fini.
C'est fini, le silence.
Maintenant, les victimes parlent. Aujourd'hui, en 2017, elles témoignent. Avec les moyens du bord.
Qu'importe le hashtag, pourvu qu'il y ait les mots pour le dire.