Et si on s'écharpait sur le voile (encore une fois)?
- 16.10.19
- Par Elodie Jauneau
- 6 Commentaires
On adore ça en France. Régulièrement, ça revient sur le tapis.
Tous les ans. Tous les 6 mois. Toutes les semaines.
Ça tombe bien, entre les manifs des directeurs et directrices d'écoles, les grèves des personnels hospitaliers et des pompiers, la réforme des retraites, les municipales, l'abandon des Kurdes, le fake gigantesque de l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès et le 121ème féminicide, on commençait à s'ennuyer.
Une vraie passion française. Surtout chez les fachos.
Et d'ailleurs, c'est encore l'un d'eux qui a remis 10 balles dans la machine.
Julien Odoul, que personne ne connaissait jusqu'à présent, s'est comporté comme un gros conn**** au Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté. Dans sa ligne de mire, un femme voilée, accompagnatrice d'une visite scolaire, dont il a exigé qu'elle retire son voile. Il l'affiche devant tout le monde, y compris les enfants (classe), il diffuse tout ça sur les réseaux sociaux (grande classe), il fait pleurer le fils de cette femme (super super classe).
Bref. Le niveau zéro de l'élu de la République.
Mais bon, vous connaissez l'histoire, je ne vais pas la refaire ici.
Lamentable attitude, sombre personnage que ce Julien Odoul qui, lui, pour le coup, refait l'Histoire avec un grand H au nom de la loi de 1905 qu'il interprète à sa sauce, celle des fachos.
Tollé général, excitation sur les réseaux sociaux, stupeur et tremblements à gauche, bave à la commissure des lèvres d'Eric Zemmour, tête baissée chez certains ministres, jovialité médiatique chez d'autres... Et hop, en moins de temps qu'il n'en faut pour écrire ces quelques lignes, le débat était relancé.
Sempiternel débat
Christian Jacob, fraîchement élu Président des Républicains, exige une loi pour étendre l'interdiction du voile à toutes les activités scolaires, Aurore Bergé, Porte-Parole (j'ai toujours envie de rire quand j'écris ça) du groupe En Marche à l'Assemblée, est d'accord avec lui, Jean-Michel Blanquer rappelle que le port du voile n'est pas "souhaitable", des député-e-s de la Majorité se rebiffent contre Aurore Bergé, et Edouard Philippe fait un rappel de la loi pendant la séance des questions d'actu à l'Assemblée, nourrissant au fond de lui l'irrépressible espoir de clore ce sempiternel débat.
Tiens, je vais le citer:
On peut porter un voile quand on accompagne une sortie scolaire, mais on n’a pas le droit de faire de prosélytisme et les autorités doivent intervenir si tel est le cas. Voilà l’état du droit.
L’enjeu aujourd’hui n'est pas de faire une loi sur les accompagnants scolaires. L’enjeu, c’est de combattre les dérives communautaires.
Nicolas a assez bien résumé tout ce bazar sur son blog.
De son côté, l'ami Gilles (dont je ne sais plus trop s'il a un blog qu'il faudrait que je linke ou pas) a posé la question que je me suis moi-même posée en entendant Jean-Michel Blanquer remettre lui aussi 10 balles dans la machine en déclarant que le le voile n'était "pas souhaitable dans notre société".
En fait, les préférences de tel ou tel ministre, puis-je dire que l’on en a strictement rien à faire ?
J'espère qu'il ne m'en voudra pas de l'avoir éhontément plagié pour ouvrir la suite de ce billet.
Si la loi ne lui convient pas à Jean-Michel Blanquer, qu’il en propose une autre !
S'il considère que la loi de 1905 mérite d'être remaniée, qu'il y aille franchement et propose des amendements.
Il y a une différence entre ce qu'on tolère ou ne tolère pas à titre perso et ce que la loi tolère ou permet.
Or, que ça nous plaise ou non, la loi de 1905 telle qu'elle est rédigée, permet le port du voile religieux en sortie scolaire. Du moins, elle ne l'interdit pas.
Donc ces sempiternels débats sur le voile en mode micro-trottoir, pilier de comptoir, café du commerce ou matinales radio-TV, ne servent strictement à rien.
Et c'est parce qu'ils ne servent à rien que j'en parle ici.
Il ne servent à rien sinon tendre le micro à des gens, élus ou pas, journalistes ou pas, éditorialistes ou pas, qui réécrivent la loi et contribuent à alimenter un débat assez pourri.
Et pourtant, oui, je suis contre le voile.
Je suis contre le voile parce que je suis une laïcarde, parce que je suis une femme, parce que je suis féministe.
Cela dit, je suis aussi contre les jeans trop grands qui laissent dépasser des caleçons, les bretelles de soutifs en plastique transparent genre invisibles, les sous-vêtements noirs sous les fringues blanches, les futes feu-de-plancher pour les mecs, les perruques sur la tête et les collants sur les jambes pour les femmes de confession juive de je-sais-plus-quel courant, qu’il fasse 10 degrés comme 40° à l'ombre, les crèches dans les lieux publics...
Bref, je suis contre plein de trucs contre lesquels il n’existe pas de loi.
Donc, soit on respecte et on applique la loi de 1905 et on la boucle, soit ils (ceux qui nous gouvernent) se sortent les doigts et osent en proposer une version remix reloaded 2019.
Mais là, franchement, overdose.
Overdose
Overdose parce qu'en l'état actuel de la loi, cette femme n'était pas en infraction.
Ces débats ne servent à rien car ils ouvrent la porte à la grande foire à 10 balles des arguments les plus WTF comme hier, quand François Rebsamen, Maire de Dijon, ancien Ministre, ancien Sénateur, actuel Président de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (excusez du peu), a eu l'idée de génie de proposer que chaque Conseil Municipal de France et de Navarre adopte, s'il le souhaite et en toute indépendance des lois de la République, un règlement intérieur imposant une "tenue correcte" pour le public.
Sous-entendant ainsi, en toute détente, que le voile est une tenue incorrecte, d'une part, et ce, alors même qu'aucune loi de la République ne le stipule.
Et puisque chacun-e y va de son grain de sel, moi, toutes les religions me gavent.
Écrites par des hommes et pour des hommes, elles les poussent, soit disant "au nom de la religion", à faire des manifs pour tous ou pour un seul, à se battre, à poser des bombes ici ou là, à contraindre le corps des femmes et entraver leurs libertés, à tuer des gens par dizaines, centaines ou milliers.
La religion, quelle qu’elle soit, c’est l’incarnation spirituelle du patriarcat qui se répercute dans la vie réelle.
Il est là mon problème.
Et donc, même si la loi de 1905 me semble incomplète ou perfectible, en l'état, aujourd'hui, à l'instant T, c'est la loi.
Rien que la loi.
Julien Odoul n'aurait donc jamais dû l'ouvrir ainsi en Conseil régional, Jean-Michel Blanquer aurait dû la boucler, et les autres aussi.