Briser le silence. Libérer la parole. Écouter.


Comme beaucoup, j'ai lu les deux articles qui font grand bruit depuis le début de la semaine au sujet d'Olivier Duhamel, accusé par Camille Kouchner d'inceste sur son frère jumeau.

Stupéfaction d'abord.

Vu de ma lorgnette : Olivier Duhamel, enseignant, ex-député européen, constitutionnaliste, bien sous tout rapport, bon chic bon genre, le gendre idéal, le père parfait, l'oncle aimant, le beau-père exemplaire.

Colère ensuite.

La colère, la révolte, la compassion, la solidarité totale avec l'autrice du livre qui sort demain "La Familia Grande", l'incompréhension, les questions.
Je ne vous résumerai pas les deux papiers que je viens de citer, mais je vous invite à les lire. Plusieurs fois si nécessaire.
Demain j'irai acheter le livre de Camille Kouchner, comme j'ai acheté celui de Vanessa Springora, celui de Giulia Foïs, ou celui de Lola Lafon (même si ce dernier est une fiction).

Tout le monde savait.

Cette phrase résonne tellement fort. Combien d'affaires de pédocriminalité, de viols, d'inceste, de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles connues de tous-tes ? Ou presque tous-tes ?
Combien de personnes ont fermé les yeux, fait la sourde oreille, voire, pire, fait semblant de ne rien voir ?
DSK ? Tout le monde savait.
Matzneff ? Tout le ponde savait.
Duhamel? Tout le monde savait.
Mais qui sont ces gens qui savent - non pas après les faits - mais pendant et qui ferment les yeux ?

Libérer la parole.

Plus facile à dire qu'à faire.
Que n'avons-nous entendu ces dernières années :
Je ne comprends pas pourquoi la victime ne porte pas plainte.
Je ne comprends pas pourquoi elle n'a pas parlé pendant toutes ces années.
Je ne comprends pas qu'on le dise dans un livre ou sur les réseaux sociaux alors que rien ne remplacera jamais une plainte.

Hier, sur Twitter, c'est Michèle Delaunay, médecin, ancienne ministre, socialiste, se disant féministe, qui a battu tous les records d'outrance.

À la lecture de ces deux tweets, une forme de colère sourde s'est emparée de moi. Mes doigts tremblaient sur le clavier.
Je me suis demandé comment une femme avec ce parcours et ce niveau d'engagement pouvait oser dire ce genre de trucs (je n'ai même pas les mots pour qualifier ces deux étrons laissés comme ça sur Twitter). 
Au premier tweet, j'ai directement interpellé celle qui, il y a encore peu de temps, je considérais comme une camarade.

Ce tweet est hallucinant. As-tu la moindre idée des tortures physiques, mentales, des turpitudes que traversent les victimes, de l'amnésie post-traumatique parfois, et du temps que ça peut prendre avant d'être physiquement et mentalement capable de parler?
Aurais-tu la même audace de jeter cela, en face et non pas derrière un clavier, à la figure d'une victime de viol, de pédocriminalité, de violences conjugales, de harcèlement qui, après 10, 15, ou 30 ans de reconstruction personnelle, ose enfin parler ?

Au deuxième tweet, j'ai perdu patience :
Je vais t'aider à comprendre : La honte. La peur. Les traumatismes. La peur du jugement. La peur du regard des autres. L'amnésie. Le syndrome post-traumatique. la peur de ne pas être cru.e. Le découragement. L'urgence de la reconstruction physique, intime, mentale et personnelle. 

Ce à quoi une amie a rajouté :

"La survie. Putain, la survie"

Parce que la vie et la justice sont ainsi faites dans notre pays qu'il est trop souvent plus "facile" de se taire et d'avancer en silence et la tête baissée, comme si les victimes étaient les coupables, que de se jeter à corps perdu dans une plainte, une enquête, un procès, un jugement.
Parce que l'urgence post-sidération, post-traumatique, c'est souvent la reconstruction qui peut prendre 5 ans, 10 ans, 30 ans.
Trente ans ? Mais enfin, c'est beaucoup trop tard ! Après ça, les faits sont prescrits !
Bah ouais. C'est la vie. La prescription du crime, c'est pas le premier truc auquel pense une victime en fait.
Alors oui, il y a des victimes qui entrent dans le processus judiciaire très vite.
Il y en a d'autres qui attendent 10 ans.
Il y en a d'autres encore, qui lâchent tout sur Twitter ou sur Facebook.
Il y en a, encore, qui écrivent des livres 30 ans plus tard.
Il y en a aussi qui ont tout oublié, tout occulté et qui, un jour, se prennent un flash en pleine figure, comme ça, sans prévenir et qui revivent en accéléré un trauma qu'elles avaient enfoui tellement loin au fond d'elles, pour survivre, qu'elles avaient fini par l'"oublier".
Il n'y a pas de victime type. Il n'y a pas deux drames identiques. Il n'y a pas deux parcours de vie similaires d'une victime à l'autre.
En revanche, des donneurs et des donneuses de leçons qui accablent les victimes comme si elles étaient coupables, il y en a un paquet.

Le poids des mots

Inceste.
Pédocriminalité.
Viol.
Assassinat.

Il faut nommer les choses. Les mots ont un sens. 
Cessons de parler de pédophilie (qui aime les enfants) comme on parlerait de cinéphilie ou de bibliophilie.
Cessons de parler d'abus comme si on abusait d'un enfant comme j'abuse du chocolat pendant les Fêtes.
Cessons de parler de drame familial quand il s'agit d'un meurtre, d'un assassinat, d'un féminicide ou d'un infanticide.
Brisons les tabous et l'omerta.
Nommons les faits.

Car avant de lancer des injonctions du style "Mais parlez nom de Dieu !" ou "Il faut porter plainte"; c'est à l'ensemble de la société, de l'Etat, de se doter de moyens dignes de ce nom pour accueillir et recueillir la parole. Ce n'est pas aux victimes de se battre comme des lions ou comme des lionnes pour qu'on les écoute.

Les entendre ne suffit plus.

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14 commentaires

  1. Elodie,

    Je vais relire ton billet, les échanges entre Claire et toi mais soyons sûr d'un truc, je n'ai jamais dit "il faut porter plainte" ou ce genre de truc.

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  2. Je rectifie le commentaire que je viens de laisser et qui est mensonger : je l'ai dit ! Mais ce n'est pas ce que je voulais dire. Je n'ai pas voulu dire "allez les gonzesses qui ont été violées, aller parler", j'ai dit ou voulu dire qu'il fallait démystifier indépendamment du viol.

    Et je n'ai pas dit que c'était "LA" solution.

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    1. Ah oui, mais je ne crois pas avoir dit que tu faisais partie de ceux-là. J’ai dit ça ?

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    2. Non ! Je voulais juste être sûr qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous, déjà que sur ce type de sujet nous ne sommes pas franchement d'accord...

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    3. Pas de malentendu t'inquiète.
      On n'est pas franchement d'accord sur la forme, mais sur le fond, oui, et je crois que c'est bien là l'essentiel.

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    4. Ah non ! Je suis favorable au viol obligatoire par le père ou le beau père dès 10 ans pour démystifier tout ce pataquès. ;-)

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  3. Lu les articles et les réactions, je suis sans voix. Et ce que tu ne dis pas mais le sujet est vaste et les conséquences multiples : une plainte est très souvent non suivie d'effet, souvent minimisée, moquée, classée. Idem pour le ou les procès s'ils ont lieu. A chaque vague de justice saisie, la victime se prend des tombereaux de merde, de culpabilité mal placée. Disons à cette ex ministre pour qui j'ai pourtant de l'estime que les raisons de ne pas porter plainte sont aussi dans ce que je viens d'expliquer très sommairement. J'ai lu quelques articles confondants sur Slate, récemment qui racontaient le parcours du combattant des plaignant(e)s.

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    1. Clairement oui.
      Tu as raison.
      C’est en cela que je dis que l’État et la société doivent évoluer.
      Mais c’est tout le processus qui est à revoir, comme tu le dis si bien.

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    2. J'ai retrouvé l'article dans Slate. Témoignage fleuve dont je te conseille la lecture si tu ne l'as déjà lu. Très instructif. Je conseille la lecture à Didier Goux, également. http://www.slate.fr/story/186467/recit-temoignage-viol-sidney-justice-episode-1 lire les 5 épisodes. Je n'apporterai pas d'argument à DG, son ton péremptoire prouve qu'il n'a pas besoin d'être contredit ou simplement discuté puisqu'il a par essence raison... ça me fatigue également d'avance de lui apporter des éclairages, il saura les trouver par lui-même.

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    3. Merci Laurent.
      Je l’ai lu à sa sortie pendant au printemps dernier.
      Bouleversant et magistral à la fois.
      Et indispensable aussi.

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    4. Laurent,

      FAut arrêter de dire qu'un type qui dit qui n'a pas d'avis est péremptoire, c'est mal.

      J'ai lu le début de l'article de Slate que tu as mis en lien (il est trop long pour que je le fasse entièrement). Je résume : une dame fait la fête, sors avec un garçon, ils passent à l'acte et ce fumier profite de l'état de la dame pour y faire passer ses potes.

      Il n'y a pas consentement, c'est du viol, c'est inéluctable mais ça ne ressort pas de la morale mais du pénal sinon on va rentrer dans des histoires de morale de gonzesse qui couchent le premier soir voire avant le mariage alors qu'elle fait bien ce qu'elle veut.

      Toujours est-il qu'au réveil, elle se rend compte qu'elle a été violée et va directement chez les flics et elle a bien raison.

      Il n'empêche qu'il me semble que le fond du débat entre le billet d'Elodie et le mien (qui n'ont pas exactement le même thème) est justement les personnes qui n'osent pas porter plainte (et à qui on dit un peu facilement : z'aviez qu'à porter plainte).

      Je me répète : je n'ai pas lu la fin du machin de Slate qui est un journal gratuit fait pour créer de la polémique et qui m'intéresse rarement...

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  4. « une plainte est très souvent non suivie d'effet, souvent minimisée, moquée, classée. Idem pour le ou les procès s'ils ont lieu. »

    On peut difficilement écrire quelque chose de plus faux. Depuis déjà un bout de temps, c'est exactement le contraire qui se produit : chaque plainte de ce genre est assurée d'obtenir le maximum de retentissement (et surtout si elles émanent de “fils ou de de filles de”, qui sont assurés d'écrire ou de faire écrire des livres puis d'aller les vendre au Monde, à Libération ou chez Ruquier. En tout cas, faire mine de croire que ces affaires sont toujours l'objet d'un "tabou" relève de la plaisanterie.

    Je ne porte évidemment aucun jugement sur le fond de ces faits divers, qui ne me concernent pas plus que vous, en ignorant tout (comme vous). Je ne dis même pas : "que la justice fasse son travail", les juges me semblant être les pires exemplaires d'humanoïdes que l'on puisse trouver.

    Tout cela demanderait des développements qui me fatiguent d'avance rien que d'y penser. Une chose me paraît certaine : ce genre d'affaires assez putrides, reconnaissons-le, vous fournit l'occasion l'indignation à petits frais : dans deux semaines (maximum) vous serez déjà passé à autre chose. Et vous pousserez les mêmes cris vertueux et mécaniques.

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    1. "dans deux semaines (maximum) vous serez déjà passé à autre chose. Et vous pousserez les mêmes cris vertueux et mécaniques."

      C’est bien mal me connaître.

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