Et si on arrêtait deux minutes de dire n'importe quoi sur l'écriture inclusive ?


Nouveau débat en dessous de tout. Nouvelle polémique. Nouvelle caricature. Nouvel emballement de réseaux sociaux. Bref, la routine quoi.
Je m'étais pourtant dit que je n'alimenterais pas le débat sur l'écriture inclusive que, personnellement, j'utilise depuis plus de 15 ans. Bah ouais, j'ai fait un doctorat d'histoire, les gens. Et en plus, dans les gender studies (Oh mon dieu, quelle horreur). 729 pages de thèse en écriture inclusive. Soutenue en 2011 et ayant reçu la mention très honorable à l'unanimité du jury (et avis favorable, à l'unanimité lui aussi, pour publication). Et figurez-vous que mon jury comptait deux hommes. Incroyable hein ?

L'histoire ne dit pas si les membres de mon jury étaient islamogauchistes ou pas, en revanche.

729 pages d'inclusif avec du masculin et du féminin, des hommes et des femmes, des Françaises et des Français, des citoyens et des citoyennes, des soldates et des soldats, des commandants et des commandantes...(ouais... j'ai fait une thèse sur la féminisation de l'armée, le pire du pire de l'inclusif).
À l'époque, si Chirac avait été présent, il aurait dit "Cela m'en touche une sans faire bouger l'autre". Parce que figure-toi qu'il y a 15 ans, tout le monde s'en cognait.
Mais en 2021, faute d'élever le débat, on crée des polémiques à deux balles et on caricature l'écriture inclusive en disant tout et n'importe quoi.

Les yeux qui saignent.

D'abord, l'écriture inclusive est communément réduite à une écriture pénible à écrire et à lire : celle qui ajoute des tirets, des points ou des slashs. J'avoue. Mea culpa. Fouettez-moi en place publique en m'obligeant à faire le tour du quartier à cloche-pied, oui, il m'arrive d'y avoir recours. Mais (parce qu'il y a un "mais" sinon c'est pas drôle), je l'utilise de moins en moins pour trois raisons :

  1. Oui c'est pénible à écrire.
  2. Oui c'est pénible à lire.
  3. Et en termes d'accessibilité, c'est une plaie pour celles et ceux qui apprennent à lire ou écrire, ou qui apprennent la langue française, mais aussi pour toutes les personnes déficientes visuelles, et je m'inclus dans le lot : astigmate puissance 1000 depuis plus de 40 ans, j'ai les yeux qui se croisent très vite car les lignes bougent continuellement dans mon mode en 2 dimensions. Sans parler des personnes non-voyantes pour qui le braille ou les audio-textes peinent à retranscrire ces signes, ou encore de celles qui ont des troubles du langage, de lecture ou d'écriture. Bref, la liste est longue et bien réelle.
Mais pour aller vite ou quand je suis limitée en nombre de caractères (genre sur Twitter), il m'arrive de placer par-ci par-là quelques points ou tirets. Mais de moins en moins : j'insiste.

Chic, chic, une polémique à deux balles !

En 2021, à l'heure de la crise sanitaire qui affame les étudiantes et les étudiants, qui éreinte les premiers et les premières de corvée, dont personne n'a, de nouveau, plus rien à foutre, qui déprime les gens, qui ruine les restos, les bars, le secteur de la culture et j'en passe, quelques députés et députées n'ont rien trouvé de mieux à faire que de proposer une loi "portant interdiction de l’usage de l’écriture inclusive pour les personnes morales en charge d’une mission de service public".
Faut-il que ces gens se fassent à ce point chier dans leur mandat de parlementaire pour perdre leur temps avec des conneries pareilles ?
Je pose la question.

Et comme par hasard (tu sens poindre le complot, allez, avoue...), parmi les signataires de cette proposition de loi, plagiat d'une autre émanant du Rassemblement National, on trouve des fervents opposants et opposantes au mariage pour tous, au moins deux députés ayant fait l’objet d’une peine disciplinaire à l'Assemblée nationale – l'un pour outrage à la Présidente de séance, l'autre pour injures sexistes à une collègue – et un autre condamné pour harcèlement sexuel.
Je dis ça, je dis rien.

Et si on commençait par arrêter de dire n'importe quoi sur l'écriture inclusive ?

Car non, l'écriture inclusive, ça n'est pas que des points ou des tirets ou des fusions de mots créant ainsi des néologismes (cela dit, l'enrichissement de la langue française passe aussi par l'acquisition de mots qui, dans leur histoire, furent un jour des néologismes, bref). 
Utiliser l'écriture inclusive ne veut pas dire inclure des points ou des tirets, mais inclure des gens, des personnes, des hommes, des femmes, ou quelle que soit l'identité de genre concernée par ce qu'on écrit.

Par exemple, quand j'étais encore membre du Parti socialiste, en 2018, on nous avait promis une grande réforme statutaire (qui ne s'est jamais faite mais c'est un autre sujet). Voilà comment débutait ce qu'on appelait alors un "projet de texte":


Autant te dire que ça m'a fait vriller direct. Je n'étais pas un militant. Je n'étais pas un adhérent non plus. J'étais une militante, une adhérente. J'ai été candidate et non pas candidat.
Et je n'en reviens toujours pas d'avoir été obligée de signaler au brillant esprit dans lequel avait germé cette proposition de texte que, non, ça n'était pas possible.
Qu'on s'oppose farouchement à l'ajout de points médians ou de tirets, je peux l'entendre et le comprends, notamment pour les trois raisons que j'ai énumérées plus haut.

Se renseigner et s'hydrater, ça ira mieux

Qu'on ait les yeux qui saignent quand on lit "iel" ou "iels", je peux éventuellement l'entendre. Mais, clairement, celles et ceux dont les yeux saignent à la lecture de ces mots ne sont visiblement pas celles et ceux qui ont besoin de ces mots pour s'identifier.
Je t'invite d'ailleurs à lire cette interview, "L'histoire de M., première personne intersexe au monde à porter plainte pour mutilations". Bien que je sois une fervente défenseuse de l'écriture inclusive, avant la lecture de ce témoignage, j'avais moi aussi les yeux qui saignaient quand je tombais sur "iel" ou "iels". Après la lecture de cette histoire, j'ai compris que toute l'humanité n'était pas que binaire. Et ce n'est pas parce que ces personnes sont une minorité que la langue française doit se priver de mots pour les nommer et que nous devons les ignorer.
Je te laisse méditer là-dessus. Moi, perso, dans ma façon de parler ou d'écrire, il y a eu un avant et après ce papier de Slate.

Le droit au choix

Finalement, ce qui me pose problème dans ce débat qui ne devrait pas en être un, c'est l'interdiction. L'interdiction de féminiser pour inclure. Et franchement, en termes de nombre de caractères, entre "toutes et tous" et "tous-tes", on gagne quoi ? 6 caractères ? 8 espaces compris ? faut pas déconner. Alors au diable les points médians ou les tirets, incluons vraiment !

Parlons de droits humains au lieu de droits de l'homme.
Parlons de toutes et tous au lieu de caler n'importe où et n'importe comment des tirets ou des points comme l'a fait hier l'UNEF dans une campagne qui a le mérite d'exister mais qui écrit n'importe quoi n'importe comment.
Parlons de matrimoine (mot qui existe depuis le Moyen Âge tout de même) quand il s'agit de l'héritage et les biens culturels des femmes plutôt que de patrimoine.
Ressuscitons les mots féminins enterrés au fil de l'Histoire pour invisibiliser les femmes.
Mais laissons tranquilles les œuvres littéraires ou artistiques millénaires ou centenaires. J'ai beau ne pas m'appeler Marcel Proust, s'il venait l'idée à quelqu'un ou quelqu'une de réécrire mes textes après ma mort pour les faire entrer dans les usages d'une époque qui n'est pas la mienne, ça me ferait péter un câble dans ma tombe.

Je m'étais promis de ne pas entrer dans ce débat qui n'a pas lieu d'être selon moi. Mais depuis lundi, j'ai reçu 5 demandes en tout d'amis et de camarades (au masculin cette fois-ci puisque ces demandes sont celles d'hommes) qui me demandaient mon avis. 
Alors le voilà.
Faites-en ce que vous voulez mais arrêtez de faire chier celles et ceux qui incluent. 
Prenez-vous en plutôt à celles et ceux qui créent de faux débats et de fausses polémiques.
(Évidemment, ces injonctions ne s'adressent pas aux copains qui m'ont demandé mon avis hein).

Félicitations !

Si tu en es à cette dernière ligne de mon billet, permets-moi de te féliciter, tu as réussi à aller jusqu'au bout d'un billet intégralement rédigé en écriture inclusive.

Ça s'arrose.

32 commentaires

  1. J'ai été au bout du billet ! J'avoue, je plaide coupable, j'ai des piquants partout qui sortent dès que j'entends ou lis à propos d'écriture inclusive. Mais parce qu'il manque à ces gens (moralisateurs ou activistes sectaires (attention, pléonasme) qui hystérisent le débat, toutes les nuances que tu apportes dans ce billet. Donc bravo. Ça ne me fera pas utiliser l'écriture inclusive dans mon blog, mais ça me fera réfléchir et rentrer mes piquants lorsque je lirai à propos du sujet. Et aussi, comme tu l'écris si justement, je ne suis pas l'immédiate cible.

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    1. Merci. On est d'accord.
      Je crois en effet que cette question de "cible" est primordiale pour comprendre la nécessité de bien nommer celles et ceux dont on parle et à qui on parle.

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  2. Je suis saisie, soit aucune copine ne t'a demandé ton avis, soit ce billet n'est pas intégralement en ecriture inclusive.
    Voilà, sinon tu connais ma théorie ce serait plus simple si on décrétait une fois pour toutes qu'il n'y a en français qu'un neutre (qui l'emporte logiquement au pluriel), et un feminin...

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    1. Aucune copine ne m’a demandé mon avis.
      Et si, mon billet est totalement en écriture inclusive (ou alors, j’ai zappé un passage quand je suis allée faire pipi).
      Et tu connais mon avis sur le neutre masculin 😉

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  3. Vive le neutre masculin.

    Sinon, comme tu le soulignes, l'écriture inclusive ne tourne pas qu'autour de ces affreux points (ou de conneries comme "iel"). Ce ne sont pas les opposant à l'écriture inclusive affreuse qui les utilisent. On peut continue à faire chier qui les utilisent... et être parfaitement d'accord avec celles et ceux qui incluent en français (tout en n'ayant pas nécessairement le réflexe de dire "celles et ceux" voire de féminiser certains mots comme "cheffes" qui prennent ainsi une tournure grotesque : qui parle du féminin des mot qui terminent par "f" ? Je préfère donc cheffesse mais c'est ridicule).

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    1. Il y a les mots comme clef et il y a les titres, les fonctions, ou les mandats.
      Donc je ne mets pas ma cheffe dans le même sac que mes clefs.

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    2. Une fois de plus, je m'étonne (non : je feins de m'étonner…) que personne ne songe à masculiniser d'urgence les noms de métiers trzditionnellement féminins.

      Il faut absolument promouvoir d'urgence : un sentinel (ou sentineau ?), un estafet, un put. Et s'appliquer à dire que ce champion d'escrime est un fin lam, ou cet écrivain un beau plum.

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    3. Et n'oublions pas les sages-hommes, de plus en plus nombreux 😉

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  4. Totalement en écriture inclusive ? Pourtant, vous évoquez l'époque où vous étiez "membre du parti socialiste". Or, s'il est un mot qui se trouve être totalement, radicalement, implacablement masculin, c'est bien "membre".

    N'ayant jamais reculé devant le ridicule, je vous propose "membresse".

    Sur le fond, je pense qu'il en ira de votre écriture "inclusive" comme il en a été du calendrier révolutionnaire : elle fera trois petits tours et disparaîtra. La preuve de cela est qu'elle reste totalement inapliquée à l'oral : personne ne parle en "langage inclusif", ce qi suffit à condamner la chose, me semble-t-il.

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    1. Je n’ai aucune difficulté à dire que j’ai été une membre active du PS et je suis à peu près sûre que vos yeux ne saignent pas à la lecture de ma réponse.

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    2. Ils ne saignent plus… mais c'est par résignation au pire.

      Cela dit, vous n'avez meut-être aucune difficulté à dire "une membre", mais c'est une distorsion qui ne viendrait même pas à l'esprit d'environ 99% des gens.

      Vous me faites un peu penser aux Inc'oyables et aux me'veilleuses du Directoire, qui trouvaient fort chic de supprimer les "r" quand ils s'exprimaient. Pardon : quand ils s'exp'imaient.

      Bref, si mes yeux ne saignent pas, c'est parce que vous leur infligez des blessures faites au couteau à beurre.

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    3. Alors si ce n’est qu’un couteau à beurre, tout va bien.

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  5. je suis allé au bout, mais dis moi copine : Alors au diable les points médians ou les tirets, incluons vraiment ! tu invoques le démon vile socière ? Je t'embrasse à distance pour ça : en effet INCLUONS VRAIEMENT, et donc faisons confiance aux gens pour ce qu'ils et elles sont et pas à quoi ils ressemblent, et donc inclure à des endroits un peu trop fermés celles et ceux qui le méritent. le mérite est un mot masculin , mais il fait appel à la raison. Nul besoin de changer des mots, faut juste changer des personnes à certains endroits.

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    1. Voilà. Nous sommes d’accord. Ne changeons pas les mots, incluons!

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    2. voilà et ce ne sont pas des .gniiii .gnaaaa qui feront baisser la violence sexiste par exemple. Tiens si tu veux voir de l’inclusif beau, je te le conseille la série "Apple" "For all Mankind" uchronie sur la conquête de l'espace où on voit + de femmes à des postes de responsabilité dans la Nasa.

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    3. Sur quelle plateforme ?

      Si c’est en VO c’est mort.., comme J’ai les yeux qui se croisent, je tiens 20 minutes max s’il y a beaucoup de dialogue ou si les gens parlent vite...

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    4. c'est sur le truc d'Apple TV... moi je le pirate sans crainte.Et oui c'est en VO ça na pas encore été traduit.

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  6. Je ne lis aucun texte écrit en écriture inclusive. La langue française est notre patrimoine commun, respectons la. L'Académie française nous indique les règles à respecter. Point barre...

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  7. Je ne pourrai sans doute pas faire meilleur commentaire que Laurent.

    Je t'avoue aussi que c'est après l'écoute du podcast 'ou peut-être une nuit' que je me suis un peu interrogée sur l'écriture inclusive. Mais ton billet me conforte dans l'idée que je m'en étais faite sans y mettre de mots précis. C'est surtout inclure qui importe. Et je préfère utilisé des caractères de + que des ..

    Bref, c'est un beau billet d'une jolie écriture 😉

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  8. Je ne lis jamais les textes en ėcriture inclusive.

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    1. Donc vous commentez mon billet sans l’avoir lu ?

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    2. Je confirme que je n'ai pas lu votre texte. Ce n'est pas un commentaire.

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    3. Intéressant...
      Quelle perte de temps.

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  9. J'ai arrêté de vous lire il y a quelques années à cause des points médians.

    L'écriture que vous utilisez la est nettement plus lisible. Peut-être juste un peu balourde par endroits.

    Pourquoi diable parler "des étudiantes et des étudiants" quand on aborde la question de leur situation financière ? Il y a un pb différent selon le sexe ?

    C'est un peu comme pour le fragment de texte du PS : une fois le principe de l'égalité rappelé, pourquoi vouloir absolument féminiser tous les mots ? Cela alourdit inutilement. Ou alors, une secrétaire de section serait-elle forcément différente d'un secrétaire de section ? Ce n'est pas mon vécu d'ancien adhérent du PS. :-)

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    1. Je vous propose de faire le test quelques jours avec le neutre féminin, on verra ce que vous en dites.
      Pour le reste, J’ai déjà répondu à toutes vos questions dans mon billet.

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